A propos du délai de paiement, par Joel Le Bon, Professeur de Marketing, ESSEC Business School.
La gestion du délai de paiement représente sans nul doute l’une des préoccupations majeures des responsables financiers des entreprises, surtout en situation de crise. Des études montrent qu’un jour de délai de paiement implique un coût d’opportunité moyen journalier de 10000 dollars, soit 3,65 millions de dollars par an. Par ailleurs, les retards de paiement contraignent les entreprises à trouver des modes alternatifs de financement (e.g. emprunts bancaires), ce qui pèse sur la gestion de leurs ressources et réduit leur autonomie financière. Cependant, malgré son coût bien supérieur à celui des découverts bancaires, le crédit interentreprises reste l’un des modes de financement court terme les plus utilisés et représente en moyenne 30% de la dette totale des entreprises. Il est quatre fois plus important que le crédit bancaire court terme.
Les périodes de crises économiques par tradition s’accompagnent d’une contraction du crédit bancaire en même temps qu’elles font peser sur les entreprises et leurs clients un recours accru au financement interentreprises. Dès lors, le délai de paiement devient, au-delà d’une problématique comptable et financière, un enjeu clé de la relation client – fournisseur, car indissociable de la transaction commerciale. Les difficultés actuelles des entreprises et de leurs clients les plongent de fait dans un paradoxe comptable et marketing cornélien.
Comment accélérer d’une part le paiement des factures tout en accordant d’autre part aux clients des délais de paiement qui permettent également d’assurer le développement des activités commerciales ?
Plusieurs raisons expliquent l’existence même des délais de paiement. Or, il est intéressant de constater qu’elles renvoient à des questions fondamentales de marketing et de commerce. Par définition, le crédit client est l’œuvre d’entreprises commerciales dont le cœur de métier ne s’apparente en général pas à celui d’institutions bancaires ou d’établissements de crédit. Toutefois, sa pratique peut se comprendre et se justifier tant du point de vue du client que de celui du fournisseur. Le crédit client tire d’abord sa justification de l’asymétrie de l’information caractérisant la relation client – fournisseur. En effet, le client ne possédant pas toujours l’ensemble des informations permettant de juger un fournisseur, le délai de paiement constitue alors une période d’évaluation de ce dernier. Par voie de conséquence, ce délai traduit une période implicite de garantie qui atteste de la qualité des produits. Il faut également noter que le crédit client est sans conteste un argument de négociation et un outil de promotion commerciale à même de susciter un intérêt économique pour le client. En effet, le délai de paiement conduit au financement du compte d’exploitation du client réduisant ainsi ses recours à d’autres formes d’emprunts. Enfin, il est aussi important de préciser que les termes même du crédit interentreprises accordés par les fournisseurs (i.e. montant, délais de paiement, ristournes en cas de paiement anticipés, pénalités de retard) permettent en fin de compte de manipuler implicitement les prix des produits eu égard à ceux de la concurrence. Les délais de paiement deviennent des problèmes épineux dès lors qu’ils sont frappés de retards inhabituels. Le rôle des commerciaux, en prise directe et régulière avec les clients, ne saurait alors être sous estimé dans la conduite de médiations devant faciliter le paiement des factures. De plus, la force de vente est également à même de faire remonter des informations cruciales sur les insatisfactions des clients ayant éventuellement conduit aux retards de paiement. De ce point de vue, recourir au recouvrement aveugle des impayés reviendrait à aggraver la position du fournisseur, mettant alors en péril ses relations commerciales futures avec ses clients. En fait, force est de constater que le délai de paiement est un indicateur clé de la qualité de la gestion de la relation client et recèle les enjeux d’une gouvernance des clients aussi bien marketing que financière. Les entreprises qui failliraient à encourager et faciliter la collaboration de leurs fonctions financières et marketing se priveraient sans nulle doute d’une compréhension multidimensionnelle de leurs clients et de la pertinence des décisions nécessairement commerciales et financières qu’elles pourraient prendre à leur endroit.
Référence : Extraits de : Joel Le Bon (2009), Stimuler ses ventes sans simuler ses performances financières : enjeux du crédit client, enjeux marketing et crise d’enjeux, dans Le leadership Responsable, Paris : Gualino Lextenso Editions, p. 177-185.